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Ici et maintenant

On parle de l'importance de la représentation de la femme noire au Québec!

PHOTO ET DIRECTION ARTISTIQUE: MALLORY LOWE | MAQUILLAGE : EMILIE MAH & ANN-FRÉFÉRIC TREMBLAY

Le 25 septembre 2019, je suis allée voir la pièce Héritage à Duceppe. Deux heures et demi et un entracte plus tard, Héritage se termine. Une pièce poignante et pleine de vérité portée à bout de bras par des comédiens qui ont laissé leur cœur sur la scène. La cible a atteint sa marque. L'audience est touchée et l'émotion palpable. On applaudit debout . C'est l'heure du salut final. Les comédiens reviennent. Apparaît devant mes yeux la lignée des comédiens noirs. Noir, noir, noir, noir, noir, noir, noir, blanc, noir. Neuf noirs. Un blanc. Il se passe quelque chose dans mon corps, quelque chose que je ne comprends pas. Buée dans mes yeux. Mon cœur est assailli. Une émotion forte. Une émotion vive. Les larmes se mettent à couler. Incrédule. Incontrôlable. Mais pourquoi ? Pourquoi ce tremblement de terre à l'intérieur de moi ?

C'est à ce moment-là que ça m'a frappé. Cela a frappé fort parce que cela a touché la maison. Mon âme aspirait à quelque chose dont ni mon cœur ni mon esprit conscient ne savaient que j'avais besoin. L'enfant en moi aspirait au jour où elle se sentirait vraiment vue, aspirait au jour où elle pourrait voir la beauté de sa noirceur se refléter dans les yeux de ses pairs et pas seulement dans les yeux noirs.

J'ai pleuré. J'ai pleuré parce que c'était bon. J'ai pleuré parce que je me suis vue. J'ai pleuré parce qu'à 29 ans, c'était du jamais vu. Voilà ce qu'est pour moi la représentation.

« Je n’accepte plus les choses que je ne peux pas changer. Je change les choses que je ne peux pas accepter. »

—VIOLA DAVIS

PHOTO ET DIRECTION ARTISTIQUE: MALLORY LOWE | MAQUILLAGE : EMILIE MAH & ANN-FRÉFÉRIC TREMBLAY

Alors voilà, voici ce que la petite fille que j’étais aurait souhaité grandir en voyant. Les femmes noires et brunes dans toute leur splendeur, toutes les nuances et toutes les formes. Les femmes noires dans toute leur diversité.


Le 14 février dernier, Josiane Konate, Gérardine Jeune, Jessica Prudencio, Olivia Ngwangwata, Syana, Amélie McGarell, Schelby Jean-Baptiste et moi nous sommes réunies afin d'immortaliser, le temps d'un cliché, la magie de la femme noire. Il y avait dans l'air quelque chose d'insaisissable. Un mélange d'amour et de fierté, de douceur et de joie. Sous la lentille bienveillante de la talentueuseMallory Lowe, photographe et directrice artistique engagée, la magie s'est exploitée.

À l'occasion de cette rencontre, j'ai pu discuter plus amplement avec certaines filles de leur perception de la représentation de la femme noire au Québec. Étais-je la seule à ne pas me sentir fidèlement représentée dans le paysage médiatique québécois ? Y a-t-il véritablement un lien entre la représentation et notre estime de soi ? Quelle est, selon elles, l’importance de la représentation. Voilà qu'est ce qu'elles avaient à me dire…


Jesse

Pour Jessica Prudencio, blogueuse et influenceuse, la représentation, c'est sûrement la chose pour laquelle elle se bat le plus dans la vie. Et selon elle, il va de soi que représentation et inclusion vont main dans la main.

PHOTO ET DIRECTION ARTISTIQUE: MALLORY LOWE | MAQUILLAGE : EMILIE MAH & ANN-FRÉFÉRIC TREMBLAY
J'ai grandi au Québec dans la « blanchité » , où la norme c'est d'être blanc. Jusqu'à la fin de mon adolescence, j'ai dû consommer des médias où la très grande majorité des gens y étant représentés étaient blancs. À la télé, dans les magazines, dans les spectacles... partout. Quand tu grandis dans un espace où il y a si peu de diversité, et que tu ne ressembles pas à la norme, c'est assez dur de se sentir vu, validé, compris. Ça peut définitivement avoir un effet sur l'estime de soi.

Pour Jess la représentation c'est MÉGA important parce que c'est ce qui permet à un individu qui se sent marginalisé ou qui est en minorité de voir qu'il a sa place dans le monde.

Quand je vois des femmes comme Lizzo ou Yseult, des femmes noires et rondes, qui prospèrent , travaillent fort, sont talentueuses et sont un modèles pour tellement de personnes (dont moi) et que je réalise que j'avais besoin de femmes comme ça pour m'aider à m'assumer encore plus, c'est là que je constate à quel point la représentation est importante dans notre société.

Olivia

PHOTO ET DIRECTION ARTISTIQUE: MALLORY LOWE | MAQUILLAGE : EMILIE MAH & ANN-FRÉFÉRIC TREMBLAY

Militante pour les gens à mobilité réduite, Olivia Ngwangwat n'est rien de moins qu'une guerrière 2.0 dont la mission première est de sensibiliser et « détabouiser » les enjeux des personnes vivantes avec un handicap. C'est d'ailleurs pour cela qu'elle a démarré son propre blog où elle parle de son quotidien, plateforme ayant pour objectif briser l'isolement des personnes handicapées et conscientiser celles qui ne le sont pas.

Constamment entourée de personnes vivantes avec un handicap, Olivia souligne que, trop souvent, la société doute à tort de ses capacités et celles de ses paires en raison de leurs « limitations ». Elle rêve d'un monde où les gens – oui, NOUS, les gens – n'auront plus peur de prendre leur défense lorsqu'ils sont infantilisés ou discriminés.

Moi je vise plus précisément les gens à mobilité́ réduite qui comme moi chercher à se faire inclure dans la société de toutes les façons afin d'ultimement s'y trouver.

Selon Olivia, on ne donne pas assez de crédit aux femmes racistes. Quel que soit leur emploi, blogueuse ou avocate, elles méritent la reconnaissance d'autrui dit-elle. Nous méritons d'être vus pour qui nous sommes et pour le travail que nous accomplissons . Néanmoins, la réalité c'est que cette reconnaissance, précieuse alliée du développement de l'estime de soi, est plus accessible à la femme blanche que la femme racisée déplore-t-elle.


Syana

Syana Barbara alias Puremulato est une technosexuelle autoproclamée, MC, DJ et productrice. Syana, qui s'identifie comme une personne transféminine, m'a raconté comment elle apprend constamment son identité.

Je me rappelle que le colonialisme a eu un impact sur notre vision du genre et qu'il n'y a aucune honte à être trans. La femme que je suis et que je veux devenir est liée à mes standards en tant qu'être humain et non aux standards féminins du monde, même si les attentes de la société à notre égard m'affectent constamment. Je ne me sens pas représentée au Québec en tant que personne trans queer noire et avec la montée en puissance de notre représentation dans les médias, le monde doit se rappeler que toutes les filles trans ne sont pas pareilles et que toutes nos transitions sont uniques !

Lorsqu'on lui demande si elle se reconnaît ou non dans la représentation actuelle des femmes noires mise en avant au Québec, Syana répond franchement « non » et voici pourquoi :

Je pense que le Québec a un sentiment extrêmement anti-noir qui se manifeste clairement dans la majorité des espaces blancs. Ayant grandi en ville, je pouvais déjà comprendre à quel point une ségrégation tacite était en place. Si l’on parle des médias, les noirs (surtout les femmes) ne sont pas ou mal représentés, et les remises de prix en sont la preuve. La culture que les jeunes noirs ont créée dans la ville n'est pas représentée à la télévision ni aux yeux des étrangers, même si elle est vivante et en croissance à Montréal.

Josiane

Fondatrice de la Maison petite et audacieuse , Josiane m'explique que, pour elle, la représentation c'est en fait ce besoin que ce à quoi nous sommes exposés au quotidien ( dans les médias, au travail, etc. ) soit une réflexion de la société dans laquelle nous vivons. C'est ce besoin de briser les stéréotypes, d'où l'importance de l'éducation non seulement par les communautés racisées mais aussi par ceux qui profitent d'un privilège.

Imaginez grandir et naviguer dans une société où on est exposé à des modèles qui ne nous ressemblent en rien, qui n'ont pas la même texture de cheveux, qui ne vivent pas ou ne connaissent pas les mêmes réalités que soi. Ou lorsque c'est le cas, c'est souvent d'une manière négative et péjorative. C'est quelque chose qui marque dès la tendre enfance. J'ai un fils et chaque jour je me rend compte de l'importance pour lui de pouvoir s'identifier, que ce soit dans les médias ou à l'école, à des figures qui lui ressemblent.

Schelby

Pour Schelby Jean-Baptiste, comédienne et co-fondatrice du collectif ELLES , la représentation c'est le fait d'avoir une conscience collective.

J'ai longtemps pensé qu'être une femme noire et foncée était une barrière et croyez-moi ce genre de réflexion nourrit les complexes. [ … ] Une jeune fille noire qui regarde la télé aujourd'hui pourra soit grandir en se disant que le monde lui appartient et qu'elle pourra accomplir de grandes choses, ou encore se dire qu'elle devra changer qui elle est pour être accepter dans notre société.


PHOTO ET DIRECTION ARTISTIQUE: MALLORY LOWE | MAQUILLAGE : EMILIE MAH & ANN-FRÉFÉRIC TREMBLAY
« J’ai réalisé que la beauté n’était pas une chose que je pouvais acquérir ou consommer, c’était quelque chose que je devais simplement être. »
— LUPITA NYONG'O

Après avoir parlé aux filles, je réalise qu'en vérité LA femme noire n'existe pas. Chaque femme noire à son histoire. Et nos histoires sont aussi diversifiées que le sont les teintes de nos peaux.

Le mois de l'histoire des noirs se termine peut-être aujourd'hui mais le besoin d'une représentation plus juste de la femme noire demeure criant et entier.

Ne soyez pas témoin. Soyez un allié.


Dans les coulisses. 14 . 02. 20.

RÉALISATRICE: ESTELLE ABOU | APPAREIL PHOTO : NAOMI SILVER

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